- Interview
Mathilde Beaussault

Pour le magazine Côtes d'Armor d'Octobre 2025, Mathilde Beaussault s'est prêtée au jeu du portrait chinois. Une occasion pour nous de l'interviewer et de connaître un peu plus cette autrice.
- Pouvez-vous me raconter votre parcours et votre lien avec les Côtes d’Armor ?
Je suis née à Lamballe au début des années 1980. Alors c'est vrai qu'il n’y a pas d'hôpital à Lamballe. Mais il semblerait que mes parents n'aient pas eu le temps d'atteindre Saint-Brieuc. Je viens d'un petit village des Côtes d'Armor qui s'appelle Plénée-Jugon. Mes parents habitaient tout près de la forêt de Boquen, ce qui me faisait une aire de jeu assez importante. À 18 ans, j'ai quitté les Côtes d’Armor pour Rennes afin d’y faire mes études secondaires, suite à un bac scientifique avec une spécialité physique. J’ai commencé par une classe préparatoire à Châteaubriand en hypokhâgne.
J’ai pu découvrir et approfondir la littérature, la philosophie, l'histoire, le latin. Ensuite, j'ai mené un double cursus à la faculté de Rennes, en lettres modernes et en histoire. Après la licence, j’ai passé le CAPES de lettres modernes pour devenir enseignante.
Après la terminale, l’amour de la lecture et de la littérature ont commencé à me chatouiller, et la classe préparatoire a confirmé que c’était dans ce domaine là que j'avais envie de m'épanouir.
- À cette période là, vous écriviez déjà un petit peu ?
Non, pas du tout. Je lisais beaucoup et assez tardivement d'ailleurs. Je n'ai commencé à écrire qu'avec ce premier roman Les saules. En fait, c'est venu après mes 40 ans.
- Qu'est-ce qui vous a donné envie de passer le cap de publier votre livre ?
Une envie de mettre à plat certaines choses, de trouver le verbe pour raconter une enfance bretonne, qui reste fictive, bien sûr, parce que c'est un roman. Je ne savais pas très bien où j'allais. J'écrivais comme ça des pages et puis de fil en aiguille, je me suis prise au jeu, j'ai commencé à tramer une histoire, il fallait donc que je donne de la vie à mes personnages. J'essayais de le faire le plus souvent possible, ce qui n’était pas facile, car je venais de donner naissance à mon second fils et j'avais repris le travail à temps plein. Mais finalement ça m'a happé un peu malgré moi. Je n’ai pas décidé d'écrire un roman à un moment donné, j'ai commencé à vouloir raconter la tuerie d'un cochon dans un petit village des Côtes d'Armor, comme on le vivait quand j'étais gamine. Et puis ça m'a embarqué et ça a fini par un roman de 271 pages avec des personnages qui m'ont investie comme ça pendant presque une année.
- Vous êtes plutôt polar ?
Pas vraiment, c'est arrivé un peu malgré moi d’écrire un polar. Je lis quelques romans policiers ou romans noirs. Mais je suis plutôt attirée par la littérature blanche (composée de romans contemporains, de récits autobiographiques), par les essais, le théâtre, la poésie. Mes lectures sont très protéiformes, prennent des biais très différents en fonction de mes envies. Pour mon roman, je me suis retrouvée avec une histoire à résoudre sans avoir décidé d'œuvrer dans ce genre-là. Ça m'a d'ailleurs un peu surprise.
- C’était une volonté d’aborder les thèmes tels que l’écologie, l’agriculture ?
L’idée, ce n’était pas de faire une œuvre engagée, ni d’avoir un parti pris. C'était plutôt de révéler les ambiguïtés, les rivalités, la manière dont parfois les hommes ne se comprennent pas alors qu'ils font partie du même monde. L’idée qui a jalonné mon écriture, c’était de montrer des mondes opposés, l'enfance, le monde de l'adulte, les hommes, les femmes et toutes ces dichotomies-là qui ont du mal parfois à cohabiter.
- Comment vous est venue l’inspiration du décor de votre roman ?
Le décor, c'est chez moi. L'histoire est fictive, mais l'ancrage géographique, c'est le mien. C'est le décor qu’était ma maison, la manière dont elle était organisée. La ferme, c'était le haut de la ferme de mes parents qui se trouvait face à ma chambre d'enfant. C’'était le décor que j'observais tous les jours, autour duquel mon petit monde gravitait. La rivière de l’Arguenon passait juste à côté de la maison, j'avais la chance de pouvoir aller pêcher, observer tout un tas de petites bestioles, ça, c’est vraiment mon enfance. Mais les personnages eux sont fictifs, Chantal n’est pas ma mère… Souvent, quand j’écris, ça part de quelque chose que je connais, d'une personne qui m'inspire, d’un ressenti ou alors même d’un regard. Ensuite, je tricote les choses et la fiction déguise tout cela.
- Revenez-vous parfois en Côtes d‘Armor ?
Je reviens à toutes les vacances, car mes parents habitent toujours dans le département et j'adore y revenir quand je peux. On peut se promener dans la forêt de Boquen, auprès de la côte…
- Vous êtes sélectionnée pour le prix Louis-Guilloux organisé par le Département des Côtes d’Armor, vous avez de nombreuses dates de dédicaces… Que ressentez-vous ?
Je me dis que c’est fou ! J’ai mis du temps à assimiler. Au début, on n’y croit pas trop, on reste très prudent. Ouvrir une porte d'une maison d'édition ce n’est pas simple.
- Comment cela s’est passé lorsque vous avez fini d’écrire votre livre ?
Je l’ai fait lire à mes proches. Mon premier lecteur, c’était mon compagnon, qui est un grand amateur de romans policiers. Ensuite, je voulais absolument que ma mère le lise, parce que même s’il n’est pas autobiographique, il est quand même jalonné d'événements qui ont pu un peu secouer nos vies. Je voulais qu'elle me donne une forme d'assentiment. Et puis « il est monté à Paris » comme on dit.
- Vous écrivez un nouveau roman en ce moment ?
J’ai un nouveau roman qui est déjà écrit, et déjà signé aux éditions du Seuil chez Cadre noir, et aux éditions de l’Épée en format numérique. Il sortira en début d’année 2026. C’est également un roman noir, qui se passe en Bretagne. Et là, je suis déjà en train d’écrire mon troisième livre. C'est super, l'aventure continue.
Ah si j’étais…
Un lieu – La Plage de l’anse du Pissot à Pléneuf-Val-André. Il faut un peu crapahuter pour l'atteindre, c'est ça que j'aime bien.
Un souvenir – L’odeur et le bruit des petits pois qui dégringolaient dans le bol quand on les écossait, ma mère, ma grand-mère et moi l'été quand j’étais enfant.
Un livre - Feuillets d'Hypnos de René Char. C’est un recueil de poèmes, de textes en prose chevillé à la Seconde Guerre mondiale, il y a des passages qui peuvent m'émouvoir aux larmes.
Un mot – Libellule. C'est mon mot préféré de la langue française, je trouve qu'il sonne bien avec l'itération en l. Et c'est un insecte assez fascinant, je trouve, surtout quand il vole en arrière, en planant avec ses ailes. Il y en avait pas mal au-dessus de l’étang de mes parents.
Un paysage – La lisière d’une forêt. J’aime bien cette idée de frontière qu'on peut franchir ou pas.
Un animal - Un cerf. J'ai quelque chose de très spécial avec cet animal qui est d’ailleurs tatoué dans mon dos.
Un film - Un cœur en hiver de Claude Sautet. Quand j’étais enfant dans ma maison en Côtes d’Armor, j'avais enregistré ce film sur une cassette VHS. Lors de la scène finale, Emmanuelle Béart s'indigne et j'étais totalement fascinée par elle et son rôle.
Un superpouvoir - je me télétransporterais. Quand vous sortez un livre, vous devez aller à droite et à gauche et vous passez un temps de dingue dans les transports, dans le train par exemple, alors ça me rendrait service d’aller plus vite n’importe où.
Une couleur – Le noir. J’ai beaucoup de vêtements noirs, j’écris des romans noirs. Voilà donc un lien avec ma littérature, c'est plutôt « dark ».
Une émotion – L’indignation. Je suis souvent en colère. Mais je préfère le mot indignation parce que ça sous-tend l'idée d'une action positive, de faire quelque chose de cette colère et peut-être qu'écrire est un moyen d'assagir un peu cette colère en moi face à l'intolérable de notre société.
Un monument - Le mont Bel-Air. Le point culminant des Côtes d'Armor où il y a une petite chapelle tout en haut. C'est un lieu où mes grands-parents allaient beaucoup, mes parents aussi. J’ai beaucoup aimé ce lieu que j’ai découvert il n’y a pas très longtemps.
Un Objet - Un stylo parce que j'ai mille-et-une choses dans la tête. J'écris beaucoup de choses, même parfois très triviales. J'écris aussi sur mes mains, j'ai des mains d’écolière à la fin de la journée. Toutes hachurées de signes dont je ne me souviens pas toujours d'ailleurs.
Une chanson - Playground de Lana Del Rey. C'est une chanson qui m'émeut beaucoup et qui a aussi sans doute permis de tramer quelque chose dans mon second roman.
Un plat - Le bourguignon de ma mère.
Une citation - « Écrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. » de Marguerite Duras. Ces trois phrases ont bien résonné en moi. J'aime bien l’oxymore « hurler sans bruit ». Cette opposition quand on crache des choses sur le clavier, on est hypertendu, mais en même temps, on les écrit dans un silence monacal.