Patrimoine

Résistance : portraits de deux femmes exemplaires

Germaine Quoniam reçoit la Croix de guerre des mains du général Leclerc.
Germaine Quoniam reçoit la Croix de guerre des mains du général Leclerc. DR

Deux femmes, deux destinées, un seul combat : la France libre. A travers les parcours de la Bégarroise Marie Le Brocher et de la Dinannaise Germaine Quoniam, rendons ici hommage à deux femmes de l'ombre engagées dans la Résistance contre la barbarie nazie.

  • Marie Le Brocher

    Le Bégarrois Pierre Martin, aujourd'hui président national de l'Anacr, se souvient de Marie Le Brocher :

    Marie Le Brocher, quelques années après la Libération. DR
    Marie, quelques années après la Libération. DR

    Il y a quelques années disparaissait Marie Le Brocher à l'âge de 68 ans. Elle payait là ses années de souffrance dans les camps de concentration nazis. Très tôt, celle que l'on appelait « Maryvonne », alors directrice du dispensaire de Châtelaudren, fit partie de la Résistance. Elle hébergeait des responsables départementaux tels Jean Devienne (François), Louis Picard (Yves) ou encore Yvonne Dissoubray (Huguette), responsable de l'Union des femmes françaises. Elle distribuait des tracts et servait de boîte aux lettres.
    Yvonne Dissoubray relate : « Un jour, Maryvonne (c'était son nom de résistante) a eu l'occasion de récupérer un revolver. Elle est allée le chercher à Bicyclette et, catastrophe, en revenant, en descendant une côte, un chien l'a fait tomber. Elle a été obligée d'aller chez un pharmacien pour se faire panser les genoux. Quand on avait un paquet si compromettant, on n'aimait pas qu'il vous arrive un imprévu. Ce revolver, elle me l'a donné, afin que je le remette au responsable FTP.../... Elle m'a hébergée bien des fois chez elle. Elle était vraiment charmante et réconfortante. Elle a été déportée, je l'ai revue plusieurs fois après la Libération. Malheureusement, elle a été emportée par la maladie encore jeune. »

    Une vie passée au service des autres

    Marie Le Brocher (à gauche), avec des amies, peu de temps avant son arrestation.
    Marie Le Brocher (à gauche), avec des amies, peu de temps avant son arrestation. DR

    Elle a en effet été arrêtée en 1943 sur dénonciation et, après avoir détenue à la prison Jacques Cartier de Rennes durant six mois, elle connaîtra la déportation et l'enfer du camp de Ravensbrück.
    Le 14 mai 1945, toute la population de Bégard s'était rassemblée rue de l'Hôtel de Ville pour accueillir Marie qui rentrait à la maison. Le maire, tout le Conseil municipal, les patriotes présentant les armes, les enfants des écoles et tous nos compatriotes étaient là pour honorer Marie Le Brocher. Marie, habillée de son costume rayé de déportée, très pâle, très faible, fit néanmoins quelques pas dans la rue, encadrée par sa mère (Jose Denès) et madame Boucher, assistante sociale à Bégard et également résistante. Pesant environ 30 kg, très fatiguée, elle monta sur la scène de la salle des fêtes, dit quelques mots de remerciements : « Je vous remercie tous. Je suis très étonnée de tant d'honneurs, mais je suis trop fatiguée, je ne puis rester avec vous ». Beaucoup de personnes présentes pleuraient et nous, les enfants, nous nous demandions comment les Allemands avaient fait pour mettre cette dame dans un tel état. D'autant plus que quelques-uns d'entre nous la connaissions bien et s'étaient même fait soigner par elle quand elle se trouvait à Bégard, avant son arrestation. Elle était toujours disponible pour aider son prochain. C'est elle qui me fit « goûter » le bleu de méthylène dont on vous badigeonnait la gorge quand vous aviez une angine.

    Défenseure des humbles

    En rentrant chez sa mère, elle ne put déguster le repas frugal qui lui avait été préparé, et la réadaptation fut longue. Ce qui ne l'empêcha pas de reprendre ses activités militantes quelques mois plus tard. Toute sa vie, Marie la passera au service des autres ; elle luttera contre les injustices, contre les guerres coloniales, sera une fervente défenseure des humbles, et une militante de la paix. La Légion d'honneur, la Croix de guerre avec palme 39-45 viendront récompenser l'ancien sous-officier « Maryvonne », devenue madame de Lafranchi par son mariage. Magnifique personnalité, magnifique exemple, puissions-nous tous méditer sur cette vie donnée aux autres. Monsieur et madame de Lafranchi sont inhumés au cimetière de Bégard.

    Pierre Martin

    Germaine Quoniam, résistante dinannaise

    Gilles Bourrien est professeur d'Histoire-Géographie au Lycée La-Fontaine-des-Eaux, à Dinan. Il est l'auteur d'un texte biographique sur Germaine Quoniam, résistante dinannaise, dont voici un condensé.

    Le parcours de Germaine Quoniam témoigne d'un engagement sans faille pour sa patrie. Dès la déclaration de guerre à l'Allemagne, elle propose d'apporter ses compétences au Service de Santé de l'armée. Elle est immédiatement mobilisée le 1er septembre 1939 en tant qu'infirmière. Puis c'est la catastrophe avec le déclenchement de la Blitzkrieg, mais Germaine Quoniam ne considère pas que la défaite de mai-juin 1940 met fin à la guerre, et elle décide de poursuivre le combat contre l'occupant.
    Le Frontstalag 133, camp de prisonniers du front, est installé à Dinan dès son occupation par les troupes allemandes. Plus de 2 000 prisonniers d'origine coloniale transitent par le quartier des casernes. Immédiatement, la famille Quoniam met toute son énergie au service de ces soldats. Charles Quoniam, commandant d'infanterie coloniale en retraite, et sa fille Germaine, participent activement au Comité local d'assistance aux prisonniers de guerre.

    Résistante dès 1940

    Germaine entre à partir du 1er novembre 1940 dans la Résistance, au sein du réseau du Musée de l'Homme, qui est né dans la foulée de l'Appel du général de Gaulle.. Elle organise l'évasion de nombreux prisonniers. « Femme de dévouement, d'énergie et d'audace dans la Résistance. Engagée volontaire dès le début de la guerre, a fait évader durant l'occupation en donnant de fausses cartes d'identité à de nombreux prisonniers internés au Frontstalag de Dinan. A étendu ensuite son activité aux autres camps de prisonniers du département. »
    Germaine Quoniam met à profit ses relations familiales et amicales pour recruter des résistants et bâtir un réseau d'évasion dans le pays de Dinan. Elle « a aidé les réfractaires au S.T.O à se dérober et mis sur pied, avec succès, une organisation destinée à porter secours aux aviateurs alliés. Rendue suspecte aux Allemands et menacée d'être arrêtée », cette résistante opiniâtre décide rejoindre l'armée de la France Libre qui s'organise en Afrique du Nord, libérée par les Américains.

    En août 1943, elle rejoint Bordeaux en train, puis entame un long périple à pied pour traverser les Pyrénées et gagner l'Espagne. Après de multiples mésaventures (déboires avec la police espagnole), elle parvient à rejoindre le Portugal pour embarquer, le 22 septembre, pour Casablanca : « Samedi 25, entrée inoubliable à Casablanca, c'est le plus beau souvenir de ma vie car nous étions enfin libres. » Un mois plus tard, elle peut enfin partir pour Alger, grâce à un ordre de mission pour rejoindre le Service de santé de l'armée de la France Libre. Arrivée à Alger, Germaine est malade, elle a perdu 10 kg dans son périple. Avec l'aide d'officiers, elle se « refera une santé », avant d'intégrer le 16 janvier 1944 les Forces Françaises Libres.

    Infirmière dans l'Armée Française de Libération

    Elle sert en tant qu'infirmière dans l'Armée Française de la Libération, qui deviendra la 1ère Armée, et elle participe à tous les combats sous les ordres des généraux Juin et Leclerc : la campagne d'Italie, celle de France et l'assaut final contre la bête nazie dans sa tanière.

    Le livre d'or rempli affectueusement par ceux qui ont travaillé avec Germaine Quoniam ou ont été soignés par elle, rend compte de qui elle était et de son activité inlassable. Des petits mots, des dessins, des poèmes en témoignent. Elle avait ainsi pour surnom « La dame à la lampe », car elle allait visiter la nuit les malades et blessés qui peinaient à s'endormir, afin de leur apporter un peu de réconfort et de quiétude. Germaine Quoniam poursuivra au sein de l'armée une belle carrière qui la mènera de la zone d'occupation, en Autriche, jusqu'en Indochine, puis en Algérie où, là aussi, elle saura faire preuve d'énergie et d'un grand dévouement pour soulager les combattants blessés.

    Marraine de guerre

    Une fois la retraite arrivée, en août 1962, elle ne cesse pourtant pas d'être active. Elle s'engage dans la coopération et part travailler en Afrique, au Rwanda par exemple, où elle apporte ses compétences d'infirmière. Ce n'est qu'à la fin des années 60 qu'elle arrête définitivement son engagement d'infirmière.

    Revenue à Dinan, elle adhère à la section locale de l'Union Nationale des Combattants. Elle y déploie toute sa bonté en assurant l'accueil et l'intégration des anciens combattants d'Afrique du nord, lors de la création, en 1968, de la section de l'UNC-AFN. Elle leur offre leur drapeau et devient leur « marraine de guerre ». Elle est nommée chevalier de l'ordre de la Légion d'Honneur en 1969.

    Sa santé se fragilise lors des 15 dernières années de sa vie. A partir du milieu des années 70, elle est accueillie pour six à sept mois dans les hôpitaux militaires d'Île-de-France. En novembre 1990, elle obtient une chambre à l'Institution Nationale des Invalides, où elle souhaitait finir ses jours. C'est là qu'elle décède le 10 janvier 1991. Elle est inhumée à Saint-Launeuc, près de ses parents. Peu de temps avant sa mort, Germaine Quoniam s'est vue décerner la médaille Nightingale par le Comité International de la Croix-Rouge, en 1989, pour son courage et son dévouement exceptionnels en faveur des blessés et des malades, ainsi que des populations africaines qu'elle était allée secourir. La boucle était bouclée et Germaine pouvait s'en aller se reposer.

    Le parcours et la vie de Germaine Quoniam seront dépeints plus largement dans un article à paraître dans le livre annuel édité par la bibliothèque municipale de Dinan.

    Gilles Bourrien

Article issu du n°
180
de Côtes d’Armor magazine

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